Pour produire les images habitables de son cinéma
d'exposition, Christelle lHuereux explore les structures narratives et
les couches potentielles de récits contenues dans ses films. Elle
délègue la définition du scénario ou des dialogues
à d'autres - artiste, architecte, spectateur devenant "hyperspectateur"
ou quasi auteur -, dans une dimension collaborative de construction collective
de l'image.
Pour Bingo Show, Christelle Lheureux filme
le moment d'attente précédant l'enregistrement en direct
d'une emission de télé. Les présentateurs, effigie
vide de vie, sont en stand-by.
Chaque ligne du sinopsis vaut pour un plan :
F.T.V. l’équivalent de France Télévision
à Sarajevo.
Le plateau de télévision de la
loterie nationale.
Les animateurs sont prêts, ils attendent
le direct.
Le décor en lumière noire s’anime.
Le temps et les boules de loterie restent en
suspension.
Vent, fumigènes, crissements halogènes.
Les faiseaux des poursuites cherchent leurs
trajectoires.
La station et ses habitants attendent leur
transmission.
Ces présentateurs sans voix sans sourires
sont hors programme.
Ils flottent dans un temps qui n’a plus de
grille.
Le montage génère une tragédie
muette, recouverte par le bruit improbable du vent venu s'insinuer dans
le désert de ce tableau vivant. Des liens narratifs se construisent
entre les personnages d'un moment irrésolu, dans le hors-champ de
la fabrique de l'infotainement. Hors du monde, dans un temps circulaire,
le plateau de télévision est bien cette caverne de lumière
noire, où des automates attendent un signal pour s'animer dans un
espace spectaculaire normé, froid, au style interb-national. Mieux
qu'un retardement perpétuel du spectacle, l'anti-spectaculaire du
spectacle.
(Pascal Beausse)