Un Remake multipiste

 

Au dŽpart, le dispositif de Christelle Lheureux, intitulŽ L'ExpŽrience prŽhistorique, se prŽsente comme un remake au sens o certains artistes nous ont habituŽs, depuis une dizaine d'annŽes, ˆ en faire l'expŽrience[1]. En ne gardant que le son de la version originale du film Les sÏurs de Gion de Kenji Mizoguchi qui raconte l'histoire de deux sÏurs Geisha dans le Kyoto des annŽes 30, et en respectant scrupuleusement le dŽcoupage du film, il aurait pu s'agir simplement de faire rejouer par les acteurs amateurs les attitudes, mimiques et postures des personnages du film de dŽpart. Mais l'originalitŽ de la dŽmarche de Christelle a rŽsidŽ dans sa dŽcision de considŽrer la bande sonore du film de Mizoguchi comme une simple partition permettant de repŽrer, dans le continuum temporel du film, l'ensemble des moments o un personnage s'adresse ˆ un autre personnage. Ds lors, l'invention vŽritable du projet de Christelle Lheureux a consistŽ ˆ restructurer le rythme du film en s'intŽressant prioritairement aux Žchanges dialoguŽs entre les personnages pour les transposer en un jeu rŽglŽ de regards. Comme dans Les sÏurs de Gion, chaque changement d'espace correspond ˆ un changement de sŽquence. La longueur des scnes dans L'ExpŽrience prŽhistorique est identique ˆ la longueur des scnes du film original. Le nombre de personnages et leur genre, les rapports intŽrieur/extŽrieur, jour/nuit tels qu'ils apparaissent dans le film japonais sont Žgalement respectŽs. Par contre les actions du film tournŽ ˆ Kyoto en 1936 sont ici remplacŽes par des poses muettes : plus d'actions, plus d'animations.

 

Dans sa version initiale, rŽalisŽe lors d'une rŽsidence rŽcente ˆ Kyoto[2], la bande image fut confiŽe ˆ une benshi[3] Ñ Midori Sawato, l'une des toutes dernires en activitŽ au Japon Ñ dont le r™le fut d'inventer une premire histoire possible, susceptible de relier entre eux l'ensemble des douze personnages du film pour constituer un rŽcit cohŽrent[4]. Il s'agissait en somme de la relation entre deux abstractions : Žnigme des personnages sans mouvements ni voix ; Žnigme d'une parole indŽchiffrable pour l'artiste franaise, accessible seulement par sa couleur, ses diffŽrences de registres, son rythme, son degrŽ de volubilitŽ et les mimiques tout aussi peu transparentes qui l'accompagnent.

 

Comme le film de Mizoguchi qui, rŽalisŽ au milieu des annŽes 30, peut tre considŽrŽ, comme un film de transition du cinŽma muet au cinŽma parlant, le titre du film de Christelle Lheureux qui en est issu Ñ L'ExpŽrience prŽhistorique Ñ souligne tout d'abord cet intŽrt particulier pour l'embo”tement d'un son et d'une image, d'une voix et d'un personnage, une voix venue d'ailleurs et qui pourtant semble lui aller comme un gant.

Dans la tradition japonaise, le benshi est liŽ ˆ la particularitŽ du thŽ‰tre kabuki et perdure avec lui. Son activitŽ sÕest transmise. Elle a accompagnŽ la naissance du cinŽma, notamment pendant la pŽriode du Muet, pour dispara”tre dans les annŽes 50.

 

 

 

 

Le principe du Ç Grand Parleur È, ce que AndrŽ Gaudreault a aussi appelŽ Ç le bonimenteur È a accompagnŽ, de fait, le cinŽmatographe partout dans le monde jusqu'aux environs de 1910. Il renvoie directement ˆ tout un hŽritage prŽ-cinŽmatographique et en particulier ˆ la Lanterne magique utilisŽe par des confŽrenciers itinŽrants dans la deuxime moitiŽe du XIX e sicle. Le bonimenteur est une sorte de narrateur/commentateur qui explique le sens des sŽquences filmŽes montrŽes au public. Cette manire de Ç jouxter un commentaire verbal ˆ une prestation actorielle È relve d'une pratique trs ancienne que l'on rencontre notamment au XIVe sicle en Italie quand, lors des ftes du Vendredi Saint, le sermon et la lithurgie Žtaient illustrŽs par des reprŽsentations dramatiques[5]. En peinture, il correspond ˆ celui que l'historien d'art quŽbŽcois Alain Laframboise[6], traduisant en franais un terme du Della pictura d'Alberti, a appelŽ l'admoniteur[7]. Le bonimenteur ou l'admoniteur est ainsi une sorte d' Ç agent de liaison È, qui fait le relais entre l'Ïuvre et le spectateur.

 

 

 

 

Le titre du dispositif de Christelle Lheureux est donc particulirement bien choisi. Ce recours au Ç benshi È relve bien en effet Ñ en un deuxime sens Ñ d'une expŽrience prŽhistorique du cinŽmatographe qui nous ramne quelques sicles plus t™t, au cÏur du processus de dŽveloppement du mode de reprŽsentation de l'istoria en peinture. Un cinŽma, donc, qui nous conduit ˆ rebours du c™tŽ de sa prŽhistoire picturale telle qu'elle s'est dŽveloppŽe en occident depuis la fin du moyen age. Cette allusion est dÕailleurs renforcŽe par le mode d'enregistrement des images, immobiles et composŽes comme des tableaux, sans vŽritable profondeur de champ, exceptŽe lorsquÕon peut entrevoir un morceau de paysage ˆ travers le chambranle d'une porte ou le cadre d'une fentre.

 

La puissance de la parole de la benshi Ñ sa magie, son caractre quasiment thaumaturgique Ñ rŽside dans sa manire de donner un souffle ˆ ces corps immobiles qui suffit tout d'un coup ˆ les animer sans qu'il n'ait ŽtŽ nŽcessaire de les voir ou de les faire bouger. Par-delˆ l'image mouvement, il faudrait parler ici d'un cinŽmatisme de la parole, de la parole vivante, live, en partie improvisŽe et qui en principe n'aura lieu qu'une seule fois. Une voix dissociŽe des images et des corps prŽsents ˆ l'Žcran, mais une voix aussi qui se signale elle-mme, de part son extŽrioritŽ ˆ la bande image, comme un travail d'interprŽtation. Tandis que l'acte d'interprŽtation qui caractŽrise le jeu des acteurs dans les arts du spectacle tend en principe, toujours, ˆ rŽduire l'intervalle entre l'acteur et le personnage, ici au contraire, la dissociation de la voix par rapport ˆ l'image souligne l'extŽrioritŽ de l'interprŽtation; et ceci d'autant plus que l'interprte ne cesse de passer d'un personnage ˆ un autre et d'inventer des constellations relationnelles ˆ partir des douze personnages prŽsents tour ˆ tour ˆ l'Žcran. La benshi fut absolument libre de faire dŽriver son histoire comme bon lui semblait, sans indications ou orientations particulires de la part de l'artiste. Elle crŽe les dialogues, dit tout haut les pensŽes intŽrieures des personnages, donne des indications scŽnaristiques ou psychologiques, commente les situations. Elle est tous les personnages en un seul individu. L'effet le plus immŽdiat du film, c'est de fait la rŽduction de la pluralitŽ des acteurs aux modalitŽs d'une seule voix. Il est fascinant de voir l'incroyable performance de la benshi qui se prend totalement au jeu de l'histoire qu'elle invente. Elle incarne l'histoire en tant que telle, par-delˆ tel ou tel personnage particulier. La vŽritable ŽtrangetŽ du dispositif, c'est qu'il lui ait ŽtŽ possible de prter tellement de rebondissement, de potentialitŽs narratives, ˆ des corps ˆ priori aussi inertes et peu expressifs. C'est le contraste entre la volubilitŽ passionnŽe de la benshi et le caractre inanimŽ de l'image qui constitue le vŽritable ŽvŽnement.

 

 

 

 

Si, des annŽes 1930 jusqu'ˆ l'invention du tŽlŽ-film, l'histoire du cinŽma co•ncide avec l'histoire du Remake, autrement dit l'histoire des diffŽrents processus techniques et narratifs ayant permis une diffusion de plus en plus large et massive du mme film - des versions multiples au dubbing, du Remake ˆ proprement parler aux films de sŽries rŽalisŽs sur la base d'une trame narrative toujours identique - ce ˆ quoi l'on assiste ici c'est, au contraire, ˆ une tentative de re-singularisation de la situation filmique. Il sÕagit de permettre l'invention d'une histoire unique ˆ l'occasion de chaque nouvelle projection.

 

Le remake atteint donc ici un point limite, qui co•ncide techniquement avec l'apparition du DVD[8]et la juxtaposition sur un mme support d'enregistrement de multiples versions linguistiques, o se renverse l'emphase toujours plus importante mise sur la reproductibilitŽ du film en un systme de production de sŽances cinŽmatographiques irreproductibles. Pourtant, la dŽmultiplication de rŽcits parlŽs, inventŽs par des narrateurs invitŽs ˆ accompagner chaque projection de la mme bande image, est peut-tre une autre manire de dire l'identitŽ commune ˆ toutes les histoires. IdentitŽ structurale du rŽcit Ñ pour paraphraser le titre d'un article cŽlbre de Roland Barthes Ñ rŽvŽlŽe par l'invention ˆ chaque fois renouvelŽe, unique et pourtant identique des potentialitŽs relationnelles dÕun groupe de personnages. Comme si le dŽpliage de modalitŽs toujours diffŽrentes des formes de la socialitŽ, permise par l'articulation d'une bande image autonome et d'un rŽcit en partie improvisŽ, avait pour vŽritable finalitŽ l'inventaire typologique des formes ŽlŽmentaires de la vie sociale.

 

Christelle insiste beaucoup sur le fait qu'elle ait demandŽ aux acteurs, selon une temporalitŽ prŽcisŽment Žtablie, de Ç se regarder dans les yeux È. Ainsi, le regard est mŽdiateur du continuum du film. Chaque fois qu'une personne en regarde une autre, c'est le signe qu'ils se parlent. A chaque temps de parole, ŽnoncŽe par l'un ou l'autre des acteurs dans le film original, correspond un temps de regard de celui qui parle dans la direction de son interlocuteur. En traduisant les paroles en regards, Christelle invente une forme de transposition qui souligne le caractre conventionnel de la manire de faire exister la narration ˆ l'Žcran : insistance sur la dimension du code, du codage, autrement dit accentuation de ce qui constitue le formalisme de toute Žcriture cinŽmatographique. On peut mme parler, ˆ propos de cette transposition des dialogues en regards, de l'invention d'une tradition qui n'est pas sans analogie avec ce que, venant de l'Ouest, l'on peroit des conventions sociales dans la culture japonaise. Plus significativement encore, Christelle insiste sur le caractre transitif du regard des acteurs face ˆ la camŽra. RŽgulirement, tout au long du film, regardant la camŽra qui les regarde, les acteurs se regardent l'un/l'autre sans pourtant se regarder dans l'image. Comme les rebondissements de la boule sur les bords de la table de jeu, on assiste ainsi, gr‰ce ˆ l'Žcheveau des regards indirects, ˆ la crŽation d'un espace perpendiculaire ˆ l'Žcran, une sorte de terrain de jeu horizontal qui dŽborde l'espace filmique pour inclure le regard de la benshi sur la gauche de la scne, face ˆ l'Žcran, et celui du spectateur dans la salle. Autrement dit, dans ces moments qui apparaissent comme de vŽritables acmŽs de la construction du dispositif, on assiste ˆ l'entrecroisement dynamique de trois formes de regards : celui de la benshi dont la position est ˆ mi-chemin d'un regard portŽ sur l'Žcran et d'un regard qui vise le public dans la salle ; ceux qui nous viennent de l'Žcran qui, sans tre divisŽs n'en sont pas moins constituŽs de deux, voire de trois regards dÕacteurs qui nous fixent en parallle ; celui enfin de la camŽra qui les enregistre et co•ncide avec notre regard, de l'autre c™tŽ de l'Žcran, dans la salle. Comme si la frontalitŽ du rapport ˆ l'image Žtait deux fois obviŽe au bŽnŽfice de deux trajectoires latŽrales du regard : celle du spectateur commenant sa Ç lecture È du dispositif par la gauche de l'Žcran o se trouve installŽ le pupitre de la benshi pour venir rejoindre l'Žcran depuis cette premire mŽdiation ; celle des personnages ˆ l'image qui nous font face, faisant circuler le regard via l'intermŽdiaire de la camŽra, d'une extrŽmitŽ ˆ l'autre de l'Žcran. Comme le bonimenteur et avant lui l'admoniteur, la benshi est toujours sur le bord gauche, au premier plan de l'action dŽpeinte, comme si elle devait nŽcessairement tre le premier ŽlŽment de vision du spectateur quand il entame sa Ç lecture È du film /tableau. VŽritable Ç point de jonction entre le ponctuel et le vectoriel È, la benshi rŽvle et insiste sur la part de la monstration, de Ç l'exposition È, dans la narration. La circulation indirecte des regards, seul principe de liaison entre les ŽlŽments-personnages, est l'Žquivalent dans la construction interne du film et de la distance mŽdiatrice du rŽcit du bonimenteur par rapport ˆ la bande image. Elle construit une matrice visuelle rigoureuse, rigoureusement dŽduite du film original sur lequel elle se greffe et qu'en un sens elle duplique, en assumant pleinement les effets de traductions et de transformation que cette adaptation implique.

 

Youssef Ishagpour a insistŽ ˆ propos de la modernitŽ des films de Marguerite Duras, sur Ç la perte de son caractre homogne, la dislocation de ses ŽlŽments constitutifs : chaque niveau peut ds lors se dŽtacher, se libŽrer de l'unitŽ alŽatoire, se dŽvelopper en sphre autonome È. L'Ïuvre cinŽmatographique devient alors, dit-il, Ç espace d'exposition È[9]. C'est exactement ce que rŽalise la mise en espace rŽcente du dispositif de Christelle Lheureux au Centre d'art contemporain de Valence. D'un c™tŽ le son enveloppant de la voix qui se diffuse dans l'ensemble des espaces. De l'autre l'image, rŽpartie sur deux grands Žcrans disposŽs l'un au-dessus de l'autre sur deux Žtages. En bas, la succession en montage Ç cut È des images tableaux dŽploie la bande image sous-titrŽe du film ; en haut, l'image du son cÕest ˆ dire l'image continue de la performance de la benshi, ininterrompue comme un long travelling. Ici l'expŽrience de la dissociation est de plusieurs ordres. La voix avec ou sans l'image, l'image du film sans l'image de la voix, le son de la voix et sa transposition dans les sous-titres en une autre langue, la voix Ç musicale È sans la comprŽhension de ce qui est dit, etcÉ, apparaissent comme les composantes possibles d'un jeu d'interactions sans fin, c'est-ˆ-dire sans que nŽcessairement l'hypothse sur le sens de l'interprŽtation que nous livre la benshi ne nous permette de faire vŽritablement un pas par rapport au sens de cette expŽrience prŽhistorique.

 

 

 

Certes dans la mise en espace expŽrimentŽe ˆ Valence, la verticalitŽ de la relation entre les deux images semble les hiŽrarchiser : la voix, synchrone avec l'image de la benshi, vient d'en haut. Pourtant la pluri-ponctualitŽ du film, pour reprendre la terminologie de l'historien du cinŽma des premiers temps AndrŽ Gaudreault, soit ici la succession rŽglŽe d'aprs la partition du film original de la sŽrie des plans fixes de la bande image, semble faire du sur-place [10] : elle n'enclenche rien, ne combine rien d'autre qu'une interprŽtation des relations entre les personnages parmi beaucoup d'autres possibles. Toujours plus qu'une histoire ; versions multiples.

 

Autrement dit, la succession des tableaux photographiques dans L'ExpŽrience prŽhistorique dont la composition minimaliste et le statisme ne sont pas sans Žvoquer les premires images de Jeff Wall, construit un Ç avant È prŽ-historique ˆ toutes les histoires, sous la forme d'un ensemble d'ŽlŽments-personnages interchangeables, inexpressifs mais rŽcurrents, ˆ partir duquel des rŽcits peuvent tre accrochŽs, inventŽs, multipliŽs. Tel serait finalement le sens du prŽfixe ˆ l'expŽrience de l'histoire, ou plut™t ˆ l'histoire comme expŽrience. Le type de Remake dont il s'agit ici ne doit donc pas se comprendre comme la reprise littŽrale du contenu dialoguŽ d'une premire version d'un film dans une autre langue ou comme l'amŽnagement superficiel, Žventuellement actualisŽ, d'une histoire dŽjˆ Žcrite ou filmŽe. Il doit s'entendre dans le sens plus fondamental de la crŽation d'une matrice Ñ ici la bande image Ñ permettant le dŽveloppement d'un empilement d'histoires toujours diffŽrentes, mais dont le jeu mme des diffŽrences est rŽvŽlatrice d'une structure commune, non seulement aux rŽcits Ñ peut tre ˆ tous les rŽcits Ñ mais plus largement aux interactions sociales elle-mmes.

 

Par-delˆ tel ou tel film en particulier, on peut dire que l'utopie du cinŽma a ŽtŽ avant tout de faire tenir ensemble des tres, d'inventer des manires de les faire coexister au moment o prŽcisŽment, Žtaient en train de changer radicalement toutes les formes traditionnelles de liaisons entre les hommes. En tant que machine, le cinŽmatographe est par ailleurs dŽjˆ en lui-mme, par-delˆ toute narration singulire, un outil combinatoire, une machine de liaisons. En retournant comme le fait ici Christelle Lheureux ˆ ce moment d'origine o les formes de l'association n'Žtaient pas encore cristallisŽes, il s'agit de redŽcouvrir des potentialitŽs oubliŽes, trop vite enfouies dans l'efficacitŽ machinique du cinŽma parlant. Ce dont il est ainsi question, me semble - t'il, ˆ partir de ce regard rŽtrospectif sur les ingrŽdients du cinŽma avant qu'ils ne coagulent pour constituer un seul corps, c'est dÕune interrogation gŽnŽrique sur les conditions de toute relation. Fascination pour ce moment o tous les morceaux du film sont encore sŽparŽs et que se pose la question de leur association. Mais ce moment, moment conscient et rŽflexif vis-ˆ-vis des conditions de toute re-prŽsentation, fonctionne comme la mŽtaphore d'une autre interrogation : qu'est-ce qui rend possible la relation de chacun avec chacun ? Quelles sont les logiques possibles de l'association ? La relation Ñ le mystre de l'attraction et de son dŽlitement, le mystre de la diffŽrence dans la relation Ñ est ainsi peut tre le vŽritable sujet du dispositif.

 

On peut dire du film de Kenji Mizoguchi qu'il parle de la mŽsentente entre les hommes et les femmes qui vient grever d'un manque toute forme de communication et d'Žchange entre les sexes. Aujourd'hui o le monde s'unifie tout en s'ouvrant ˆ la diffŽrence qui le constitue, les mŽsententes se multiplient. Il est peut-tre temps de considŽrer celles-ci comme l'occasion de rŽviser radicalement les conditions qui ont jusqu'ˆ prŽsent prŽvalu dans la prise en compte de l'Autre et dont le cinŽma moderne ˆ travers le double moteur de l'identification et de la projection a ŽtŽ l'un des vecteurs privilŽgiŽs. Ce qu'il s'agit donc peut tre de multiplier, par de-lˆ l'anecdote des histoires singulires, se sont tout simplement des occasions d'ententes autrement. Ce sont peut tre ces autres formes de politesse, au sens ancien du terme, qui constituent la dimension prospective, post-cinŽmatographique, de l'investigation de Christelle. La fascination pour l'Asie et plus largement pour les situations Ç d'ailleurs È qui partout dans son travail doublent son intŽrt pour le cinŽma, me semble confirmer cette hypothse. Ce que tout le monde attend aujourd'hui et dont les personnages en attente de L'ExpŽrience prŽhistorique semblent Žgalement tre la mŽtaphore, c'est ainsi peut-tre, dÕune autre forme de tact. Le principe du dispositif conu par Christelle Lheureux est de proposer une matrice d'altŽritŽs susceptibles d'en favoriser la recherche.

 

Jean-Christophe Royoux.



[1] Cf : Jean-Christophe Royoux Ç Remaking cinŽma : les nouvelles stratŽgies du remake et l'invention du cinŽma d'exposition È, in ReproductibilitŽ et irreproductibilitŽ de l'Ïuvre d'art, (sous la direction de VŽronique Goudinoux et Michel Weemans ), Ed. La lettre volŽe, Bruxelles, 2001.

[2] Kyoto, dŽcembre 2003.

[3] Le benshi au Japon, est un commentateur de film muet.

[4] Contraiement ˆ la tradition o la benshi suit un script donnŽ par le rŽalisateur, le caractre inŽdit de la propsition de Christelle Lheureux ˆ prŽcisŽment consistŽ ˆ lui demander dÕinventer une histoire.

[5] AndrŽ Gaudreault Ç Entre narrativitŽ et pictorialitŽ : le cinŽma des premiers temps .È, confŽrence prononcŽe dans le cadre du sŽminaire organisŽ par Franois AlbŽra et Jean-Christophe Royoux intitulŽ Pour un nouveau narrateur. Enqute sur les nouvelles modalitŽs du rŽcit dans les arts visuels. Centre galicien pour l'art contemporain , Saint-Jacques de Compostelle , 1998.

[6] Istoria et thŽorie de l'art.Italie XVe, et XVIe sicles, Presses de l'UniversitŽ de MontrŽal, 1989.

[7] Dans le Della pictura Alberti Žcrit : Ç Et il me plait qu'il y ait dans l'istoria quelqu'un qui nous avertisse ( amnonisca ) et nous enseigne ce qui s'y fait, ou qui nous invite de la main ˆ voir, o qui nous menace avec un visage f‰chŽ et les yeux ŽpouvantŽs afin que personne n'approche ou qui nous invite ˆ pleurer ou ˆ rire avec eux È.

[8] Le projet de LÕExpŽrience prŽhistorique sera finalisŽ sur DVD multipistes sonores aves des sous-titres franais et anglais.

[9] Youssef Ishaghpour D'une image ˆ l'autre, la nouvelle modernitŽ au cinŽma, Denol/Gonthier, Paris, 1982,( ˆ propos de Navire Night de Marguerite Duras) p.285

[10] On retrouve lˆ une logique, celle du passage du dŽfilement caractŽristique de la forme cinŽmatographique au dŽfilŽ de l'image ŽgrainŽe une ˆ une pour constituer un stock d'images que j'ai dŽcrites comme une caractŽristique typique des nouvelles formes de remakes qui se sont multipliŽes dans l'art depuis 24hour Psycho (1993) , la premire reprise typique des artistes des annŽes 1990 rŽalisŽe par Douglas Gordon. Mais il est vrai que L'ExpŽrience prŽhistorique appartient de plein droit, ˆ sa manire, ˆ ce registre. Cf : Jean-Christophe Royoux Remaking cinŽma.