Maga Croon

Histoire, 1997
 
 

          C'est l'histoire d'un personnage bleu qui vit sur une balançoire.
Maga Croon porte une longue robe qui descend plus bas que ses pieds,
une robe bien trop longue pour se tenir debout, conçue pour vivre au-dessus du vide, pour se balancer de la vie.
Elle a choisi cette panoplie (T-shirt et cheveux bleus, robe romantique française longue et flottante, Kleenex Bleus...)
pour le bleu de la mer, du ciel, du calme, du laissé aller à rêver.
Le bleu vidéo de l'absence d'images.
Si elle était un personnage de film, Maga Croon serait sans image, juste un son, une ambiance de détente et de sentiments.
           Comme ses amis que l'on pourrait rencontrer dans d'autres histoires, son nom désigne son activité.
Maga Croon aime fredonner les magazines.
Déambuler sans autre but que de feuilleter des lectures faciles, catalogues d'agence de voyage, horoscopes, tests, chroniques de gens célèbres...
Interpréter ces textes comme des chansons qu'elle adapte instinctivement sur la musique des lieux où elle flâne.
Musiques de quais de gares, de salles d'attentes, d'ascenseurs, de supermarchés, de galeries marchandes...
Maga Croon chante ces textes qu'elle finit par connaître par cœur dans ces lieux de passage, provisoires, d'attentes.
Elle fait de ces heures perdues son occupation principale.
           Maga traverse ces espaces, textes ou musiques préfabriqués comme elle traverserait sa conscience.
Personnage sans passé, Maga Croon ne se souvient pas d'où elle vient.
Peut-être qu'enfant, elle rejouait les pubs ou génériques de dessins animés avec ses frères et sœurs.
Déguisés dans leurs chambres, ils enregistraient leur show sur My first Sony.
Mais ce qui lui donne à imaginer qu'elle a une histoire, c'est qu'elle sent que ses désirs ne sont pas les même qu'autrefois.
Dans l'aventure de ses émotions, tout va très vite comme dans un film d'action.
Une succession d'événements qui effacent les précédents comme dans les panneaux horaires S.N.C.F.
Elle ne conçoit pas le déroulement de ses épisodes émotionnels autrement.
 Vous pourriez rencontrer Maga Croon par son album Climatisation.
Elle a choisi ce mot à cause de sa fascination pour les machines qui maintiennent artificiellement une atmosphère génériquement plaisante pour tous les sens.
Elle est envoûtée par l'établissement des comportements qui pourraient être déclenchés par des stimulus artificiels.
Fascinée par le fait qu'une machine puisse induire un comportement.
          Enfin elle-même n'utiliserait pas ces mots.
Ce qu'elle sent, c'est qu'elle aime que les machines provoquent du rêve, elle aime l'idéologie des systèmes Airs Conditionning.
           Son histoire mentale est proche de ces images que l'on projette au réveil sur la surface vierge du plafond.
Une sensation nette et claire mais invisible et fugitive comme ces impressions glissantes sur le blanc lisse du matin.
Ses sentiments ne s'expriment qu'à travers ses paroles génériques de chansons.
Ce n'est pas que sa sensibilité soit générique mais elle se dissimule dans le remix continuel de ses chansons qui racontent l'aventure de ses désirs.
            L'album de chansons regroupe ses meilleures interprétations.
Face A: musicale et chantée. Face B: chantée et re-contextualisée (sous la douche, à la plage, dans un aéroport).
          Dans la première face, Maga Croon se souvient des instrumentaux de 45 tours où on peut chanter sur la musique en suivant les paroles écrites sur la pochette. La face B est comme un remix de recyclage.
Ca pourrait être aussi un générique qui n'en finirait pas de défiler ou la B.O. d'un film à imaginer.
Une face un peu comme les concept-albums qu'elle a entendu au rayon CD du supermarché.
Quelque chose comme ça.
          Les deux faces ont pour elle la même valeur,
sûrement parce que la musique ou les sons d'ambiance ont le pouvoir  de générer des états mentaux en rapport à des instants vécus par tous.
Une idée de ce genre.
           Ses paroles de chansons relatent de courts instants vécus ou rêvés qu'elle tire comme un élastique le temps d'une musique.
Elle y mélange pour de bon l'indéformable et le déformé.
C'est le contrat qu'elle a établi entre sa vie et ses rêves, ses jours et ses nuits.
          Maga Croon est un être comportemental, une présence qui semble n’avoir pas plus d'épaisseur que son activité.
Une identité déterminée par ses occupations.
           Mais vous pourriez aussi la rencontrer lors de son concert promotionnel qu'elle réalise un soir d'octobre à Paris.
C'est la première fois qu’elle se met en représentation devant un public.
Elle y chantonne quelques titres de son album sur une balançoire, au milieu des fumigènes et retransmissions en direct sur écran géant.
Peut-être qu'elle n'a fait que rêver cette apparition, peut-être qu'elle l'a vraiment fait.
Certains sont persuadés de l'avoir vue.
Un peu comme on pourrait être persuadé de voir danser des essuie-glaces sur le rythme d'un auto radio.
           On n'a jamais vraiment su où vivait Maga Croon.
Elle aménage sa vie comme on agencerait un catalogue de compagnie aérienne.
Plateaux de restauration rapide, couvertures de survie molletonnées, draps S.N.C.F.,
affiches de sites touristiques, bibliothèque de la dernière saison de magazines en tout genre.
Tous ces instruments quotidiens ne sont pas difficiles à trouver,
Maga Croon emprunte par-ci par-là pour emménager entre plantes vertes, cabines téléphoniques, sièges ergonomiques et moquettes murales.
Elle ré-agence ces éléments fonctionnels pour leur permettre d'expérimenter ce qu'elle croit être leur rêve :
éprouver au moins une fois dans leur existence, une liaison intime et particulière.
           Il est probable qu'enfant, Maga Croon regardait les objets fonctionnels et décoratifs chez les adultes en se demandant,
non pas ce qu'elle aurait à choisir plus tard, mais plutôt ce qu'elle ne voudrait pas choisir.
           On pourrait croire que Maga Croon est un être de rêve mais son ajustement avec le monde est du même ordre que lorsqu'on se laisse aller à flâner
dans une galerie marchande pour reprendre contact avec le réel.
Reprendre contact avec les nouvelles saisons électroniques en regardant les vitrines.
Elle se promène au rythme de ces successions de saisons, constatant intuitivement les évolutions de modes de vie à travers l'imagerie des médias.
          Elle réinvente constamment ses modes d'appartenance au monde pour s'approprier de nouvelles identités.
Identités qui bourgeonnent différemment  chaque saison pour cause de contamination de l'extérieur.
Maga Croon est un être qui aime à se laisser manipuler par le monde, elle mixe rêves et réalités en devenir.
           Elle imagine parfois comment elle pourrait mettre fin à son histoire.
S'enterrer dans un bac de fausses plantes vertes pour voir ce qui en pousserait.
S'électrocuter avec les câbles d'un réseau de haut-parleurs pour tenter une dernière interprétation.
En attendant, elle compose un probable générique de fin à partir des dernières pages de magazines.
Mais imaginer sa fin lui permet aussi de relancer la machine de son existence.

 
 



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